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La plume de Saint Just
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15 juin 2016

Un vent meurtrier

Ce devait être pour moi une mission de routine, une simple filature pour mettre à jour les actes d’infidélité d’un mari volage. Voilà ce qui avait incité sa femme à pousser la porte de mon enseigne tant ses nuits étaient devenues blanches.

Oui parce que voyez-vous, en ce temps-là, ma profession c’était ma vie, ma drogue, ma concubine. Pour le célibataire endurci que j’étais, je ne connaissais pas de plus grande jouissance dans l’existence que mon travail qui aurait de toute façon effrayé la plus prude et amoureuse colombe que j’aurais laissée imprudemment se poser sur mon cœur. Et puis surtout, j’avais assisté à bien trop d’histoires de couples abjectes et dégueulasses pour me donner à mon tour l’envie de m’enliser dans un amour qui ne résisterait pas aux affres du temps.

Mais en réalité, je me nourrissais comme un vampire de ce que les histoires amoureuses ont de plus sordide ou de plus pervers, confirmant et étayant les suspicions portées par mes clients qui s’avéraient tristement réelles dans la majorité des cas. La réussite de mon travail s’évaluait à ma capacité et ma rapidité à trouver les preuves accablantes de l’infidélité présumée. J’étais donc cet oiseau de mauvais augure, annonciateur de la fatalité tant redoutée. J’assistais ensuite systémiquement aux mêmes et pathétiques scènes de lamentation ou parfois de parjures à l’encontre du délétère, car une fois la réaction orageuse passée, le parjuré recevrait plus tard avec une rage démesurée dans la figure, les preuves irréfutables de son inconduite que j’avais réunies à la demande du conjoint cocufié. Voilà en quoi se résumait mon métier de détective privé : démasquer la trahison et le mensonge, enfantés par cette barbare infidélité, le fléau le plus redouté par les innocentes tourterelles que l’amour fait roucouler d’une mièvre naïveté. 

 

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Maintenant que je vous ai dressé la toile de fond où se joua mon plus grand drame professionnel, voilà comment débuta cette intrigue :

Je me souviendrai toujours de ce mois d’Octobre secoué par des caprices climatiques inhabituels et je n’oublierai jamais l’intensité de ces vents d’automne, non pas à cause de leurs manifestations démesurées, mais surtout parce qu’ils étaient intimement liés à cette histoire. Car ce fut en cette période-là, qu’une certaine Madame Montauban avait pris contact avec moi afin d’enquêter sur l’inconduite conjugale de son mari. Inconduite qu’elle savait prolifique et ce quotidien lui était devenu insupportable, si bien qu’elle était venue me trouver afin de rassembler suffisamment de preuves compromettantes pour préparer un solide dossier de divorce et tout son cortège de dédommagement financier. Le portait du bonhomme était classique : c’était un homme riche dont le pouvoir lui octroyait le droit de posséder tout ce qu’il désirait et notamment sur un plan intime. De tous temps, au sein la tribu des homos sapiens, plus un mâle parvient à se hisser vers le sommet de la pyramide sociale, plus sa position dominante lui inspire le droit légitime de faire prospérer sa toute-puissance sexuelle, symbolisant même le pouvoir absolu de sa domination dans la société.

Mais comme toutes femelles que les exactions sexuelles de son conjoint avaient finies par agacer, Madame Montauban s’était mise en quête de la réparation légitime pour le préjudice subi et j’étais donc chargé de participer à l’élaboration de ce projet pour lequel elle était prête à mettre le prix fort. De plus, c’était le genre d’affaire qui nécessitait une totale investigation de ma personne, le contrat était juteux, la proie d’excellence tant la notoriété du bonhomme en faisait une affaire d’exception qu’il m’était difficile de refuser.
Après avoir signés ensemble toutes les formalités et relatés tous les indices dont j’avais besoin pour ce dossier, Madame Montauban avait quitté mon cabinet au-delà duquel soufflaient les prémisses d’une période de tempête. De mon côté je me mis ardument à la tâche : Berline Mercédès noire, photos du suspect, son numéro de portable, ses adresses privées et professionnelles, quelques indices sur son emploi du temps, ainsi que les adresses mails de ses boites pro et privées, ses déplacements en France ou à l’étranger, le nom de ses amis… Le listing était complet.

La première phase de mon travail consistait à décortiquer un à un tous les indices fournis afin de dénicher les premières pistes et de préparer mon enquête, celle-ci serait aboutie lorsque je serais en mesure de remettre à ma cliente tous les fruits de mes recherches : la preuve de l’adultère, l’identité de la, ou des complices avec lesquels il commettait ses méfaits, les dates, heures et lieux de leurs rencontres, illustrées par des photos, des échanges de conversations écrites et, ou parfois enregistrées… Bref ! Je devais livrer un package complet. Ce genre de mission comportait toutefois des risques et c’était finalement cette partie là que j’aimais le plus dans mon métier : le risque de ne pas parvenir à rassembler suffisamment de preuves, la peur de se faire « chopper » par la proie, un jeu du chat et de la souris source d’adrénaline.

Finalement je ressemblais à ces proies que je pourchassais : j’éprouvais sans doute les mêmes sensations qu’elles, en outre ce mariage détonant de la jouissance et de la culpabilité que comportent toutes situations cachées et excitantes, comme l’était mon métier et comme le sera toujours l’adultère.

Pour en revenir à Monsieur Montauban, ma mission démarrait plutôt sous de bons hospices: au bout d’une quinzaine de jours, j’étais déjà en mesure de fournir à ma cliente la récolte  de mon enquête et je la conviais à mon bureau. J’avais donc identifié rapidement le lieu des « réjouissances » du sujet, la fréquence de ses rendez-vous et même l’identité de la complice qui n’était rien d’autre qu’une prostituée qui ne semblait pas appartenir à un réseau connu, elle travaillait apparemment pour son propre compte et avait pour l’heure pour unique client régulier que ce bon Monsieur Montauban.

A l’issu de mon exposé, le regard de Madame Montauban ne cilla pas un seul instant, là où à l’entente d’une sentence redoutée tant d’autres auraient vacillé cent fois, elle conserva un incroyable sang-froid. Cette affaire aurait pu donc s’arrêter là, mais Madame Montauban souhaita pousser l’investigation au-delà des frontières de la décence :

-Je veux d’avantage de photos, surtout des photos compromettantes.

-Mais c’est ce que nous avons là, votre mari prend la main de cette femme dans ce restaurant et sur celle-ci nous les voyons rentrer ensemble dans cet hôtel, et ici nous avons des échanges de mails au sujet de leurs rendez-vous et là ce sont les cadeaux qu’il lui a faits… Selon-vous, n’est-ce pas suffisant ? Je vous assure que nous avons là toutes les pièces prévues au contrat que nous avons conclu et qui vous permettra de confondre votre mari lors de votre divorce.

En effet, selon le niveau d’exigence de la mission, je faisais parfois appel à un de mes amis, un petit génie de l’informatique qui avait la faculté de savoir pénétrer dans les réseaux d’informations numériques. Même si le service demandé relevait de l’illégalité, puisqu’il s’agissait au final de pirater les mots de passe pour s’introduire dans les boites mail et les serveurs afin d’obtenir les informations privées, cette intervention me paraissait indissociable de mon travail de détective privé qui consistait de toute manière, à pénétrer  « dans la vie intime » des gens, comme le gigolo qui s’introduit dans les cavités intimes d’autrui en faisant abstraction de ses propres sentiments et de sa morale, exigé par sa profession. Encore une fois, il me semblait que le parallèle de mon travail flirtait curieusement avec ma propre intimité. Mais c’était une intimité dépravée, comme l’était l’univers de la prostitution et ses travers immoraux, car pour moi aussi ce métier que j’avais choisi nécessitait que je taise mes états d’âme, comme devait le faire une prostituée, afin de me pas me laisser effrayer par l’horreur de ce que je voyais, et même si ce métier était en apparence tout ce qu’il y a avait de plus légal, ses coulisses se situaient parfois à la limite de la légitimité.

Cependant, Madame Montauban se montra plus exigeante que prévu, et à mesure que j’accueillais ses doléances, je réalisai combien il me serait difficile de la contenter avant que je ne puisse poser un point final à cette mission. Il me faudrait jouer de la plus grande prudence avec elle et si j’avais su écouter pleinement cet avertissement intérieur à ce moment-là, j’aurais pu arrêter cette affaire et éviter de me retrouver plongé par la suite dans une salle histoire. Mais les femmes capricieuses et insatisfaites ont cette particularité détestable de savoir déployer un machiavélisme sans limite jusqu’à pouvoir étancher leur soif de vengeance.

Madame Montauban planta son regard dans mien :

-Monsieur Rozier, je ne remets pas du tout en cause votre travail et tout ce que nous avions convenu, je reconnais que vous avez rapidement et brillamment rempli vos objectifs. Seulement je veux plus et je suis prête pour cela à engager un nouveau contrat avec vous et si vous accédez à ma requête, je saurai me montrer généreuse. Pour être plus précise, je veux des photos de mon mari pris en flag avec cette trainée pendant leurs ébats !

-Est-ce vraiment utile pour vous que d’en arriver à de telles extrémités ? Vous avez là suffisamment de preuves pour étoffer votre dossier du divorce, il est inutile voir dangereux que de tomber dans le sordide.

-Dangereux…Vous avez peur Monsieur Rozier ? Dans ce cas vous avez raison, arrêtons-nous là, je vais confier la suite de cette affaire à quelqu’un d’autre.

-Là n’est pas la question, ce que je veux dire c’est que d’un point de vu moral et légal vous risquez d’atteindre un point de non-retour et j’avoue ne pas vouloir enfreindre certaines limites que je me suis données et que je vous avais pourtant énoncées dans le contrat. Désolé, je ne fais pas dans le porno.

-Oui je sais vous m’aviez prévenue de vos « limites ». Mais au vu des facultés avec lesquelles vous avez rapidement rempli votre mission et étant donné la proposition financière alléchante que je m’apprêtais à vous faire aujourd’hui, j’avais pensé que vous pourriez faire une petite entorse à la règle. Voyez-vous, mon mari est quelqu’un qui, comme vous le savez, a une position sociale importante, il est puissant dans le milieu de la finance. Il faut que mon dossier soit suffisamment étoffé pour que je puisse obtenir gain de cause. Ce n’est pas avec une piètre accusation d’adultère et quelques preuves à l’appui que je parviendrai à obtenir un maximum de dédommagement de sa part et une quiétude garantie jusqu’à la fin de mes jours. Avec ce type de bonhomme il faut frapper plus fort : il craindra que les photos de sa vie intime n’atterrissent sur la place publique et lui configurent l’étiquette péjorative d’un DSK. Ces photos seront  pour moi la garantie ultime d’un divorce équitable et réussi. Comprenez-vous la raison de ma demande ?

Ce que femme veut, femme l’obtient. Son étonnant pouvoir de persuasion avait réussi à mettre en déroute mes dernières objections.

 

Quelques jours plus tard, je me retrouvais donc de nouveau sur les talons de Monsieur Montauban, mais prendre les fameux clichés photographiques des exploits sexuels d’un individu sans son consentement, demandaient des talents bien plus complexes qu’une simple filature. Afin de surprendre la scène, j’allais devoir anticiper tous les faits et gestes de mon sujet.

La météo était elle aussi de la partie : ce mois d’Octobre était toujours sous le signe des déchainements climatiques. La pluie était continuellement mêlée à un vent déchainé qui ne semblait pas faiblir depuis plusieurs jours. Mais l’évolution de la relation de Monsieur Montauban avec « Rita », sa prostituée régulière, semblait jouer en ma faveur. Ils ne se voyaient plus à l’hôtel, leur retrouvailles étaient désormais régulières dans une maison de campagne que Monsieur Montauban avait louée dans l’Eure pour plusieurs mois.

Mon plan d’action était désormais élaboré et je décidai d’agir le dernier jour du mois. Touchant au but, je me voyais déjà me débarrasser du poison malfaisant de ma récolte en le remettant entre les mains de Madame Montauban, espérant que sa satisfaction serait suffisamment grande cette fois pour que je ne la revisse jamais. C’est en rêvant à cet hypothétique heureux final que je m’approchai prudemment de la maison de campagne. Je garai ma voiture dans une clairière de forêt à cinq cents mètres de la maison et je terminai le reste à pied sous une pluie battante et des rafales de vents. Après avoir préalablement étudié la configuration des lieux pendant plusieurs jours ainsi que l’emploi du temps de mes sujets, j’avais minutieusement préparé mon infiltration dans la maison. Je savais par exemple que bien que doté d’un portail électrique, le jardin et sa clôture ne disposaient d’aucun dispositif de surveillance, ni de système d’alarme, ce qui me simplifiait considérablement la tâche. Enfin, il était plus aisé de rentrer par le garage qui communiquait avec la maison, car la serrure était moins sophistiquée que celle de la porte d’entrée, un simple passe-partout, me permettait de manœuvrer la serrure de la porte du garage et de rentrer sans trace d’effraction.

 

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Ainsi, tout de noir vêtu et les mains gantées, c’est avec la panoplie du parfait gentleman cambrioleur que je pénétrai sur la pointe des pieds dans la maison, en prenant soin d’essuyer la semelle mouillée de mes chaussures afin de ne pas trahir ma présence par des traces de pas. Je scrutai attentivement la configuration les lieux, désertés pour l’instant de toutes autres présences humaines. Ma mémoire scannait avec précision les moindres recoins de la maison car de ma présence rendue invisible par une judicieuse cachette, dépendait le succès de la phase la plus délicate de cette opération. Le rez-de-chaussée était composé d’une grande cuisine, une buanderie, une bibliothèque où trônait un grand bureau, un couloir, une salle de bain, des toilettes séparés, et un double salon avec cheminée. A l’étage il y avait trois chambres, une salle de bain et encore des toilettes. Je choisis de trouver ma cachette dans la chambre parentale, endroit en principe stratégique où s’achèveraient tôt ou tard les réjouissances. Un placard m’offrait l’opportunité classique mais efficace, d’un poste d’observation sans être vu, je m’y engouffrai. Je dû patienter au moins deux heures dans cette posture de repli tandis qu’un fracas extérieur épouvantable semblait agiter de plus en plus violemment les murs de la maison. Bientôt une porte claqua, du bruit et du mouvement résonnaient depuis le rez-de-chaussée, du monde était entré dans la maison. Ma pupille s’était focalisée sur le ré de lumière jaillissant de l’unique ouverture qui me reliait à cette chambre où devait se jouer l’intrigue principale. Mes conjectures étaient justes : un couple que les flammes de l’excitation faisaient bouillir un désir érotique, monta à l’étage au bout d’un quart d’heure. Pénétrant dans la chambre parentale où j’étais caché, ils se livrèrent rapidement à des gestes et des caresses fougueuses tout en se dirigeant vers le lit baigné de pénombre. Puis ils s’échouèrent tous deux enlacés sur le lit, tout en couinant de plaisir et se couvrant de baisers si bruyants qu’ils semblaient concourir avec la force vocale du vent extérieur. Je mis en action mon numérique, un appareil léger et sophistiqué qui savait demeurer silencieux pendant que je le manipulais. Des doigts s’afféraient nerveusement sur les fermetures éclaires et sur les boutons résistants. Le soutien-gorge venait de voler, suivi d’un string et pour finir d’un slip. L’orientation de mes acteurs de film porno était suffisamment favorable pour que ma série de photos fût digne de paraitre dans la presse la plus débauchée. Ma cliente serait certainement amèrement satisfaite des piètres positions graveleuses de son future ex mari, qui ignorait encore à quel point ces cabrioles libertines accroissaient le risque irréfutable de le conduire sur l’échafaud moral.

C’est au moment où Monsieur Montauban venait de fourrer sa bouche dans la foisonnante toison de l’entre jambes de la prostituée, que se produisit l’improbable ; une rafale d’une violence accrue venait de propulser un projectile qui se fracassa contre la fenêtre de la chambre et la fit voler en éclat. Le choc fut si retentissant que les amants mirent fin instantanément à leur ébats. Le vent s’engouffra avec une force inouïe dans la chambre. D’ailleurs en y resongeant, les pluies diluviennes et les vents tempétueux de ces jours derniers étaient annonciateurs de la tragédie qui allait bientôt nous plonger tous les trois. Comme si les ébats sexuels des deux amants dévoyés l’avaient rendu lui-même furieux, le vent que rien ne semblait apaiser, gronda à présent dans la chambre, envoyant des projectiles de toutes parts comme des balles perdues sur un champ de bataille. Les amants rampaient sur le sol comme des porcelets affolés, à la recherche de vêtement qui pourraient dans un premier temps recouvrir et protéger vainement leur couenne que la nudité révélait. Mais je fus à mon tour la cible du vent : les portes de ma cachette se mirent à s’ouvrir et se refermer avec fracas, révélant aux occupants de la chambre ma présence. Le regard de Monsieur Montauban rencontra le mien et en lisant son regard je devinais que malgré les conditions insolites dans lesquelles nous étions plongés tous les trois, ma présence lui fut totalement indésirable :

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-Qui êtes-vous et que faites-vous ici ?

Il se  précipita sur moi tandis que je restai toujours tapis au fond de ma cachette découverte où je me sentais pour l’instant un peu plus abrité de la tempête.

-Je pense que le moment n’est pas à la discussion, il faut songer à trouver un endroit où nous abriter, cette maison va finir par voler en éclat, ne restez pas là où vous allez vous faire tuer, répondais-je après avoir mesuré rapidement la gravité de la situation.

-Mais c’est moi qui vais vous tuer misérable petit voyeur ! poursuivit Monsieur Montauban malgré sa nudité abjecte et répugnante.

Plutôt que de songer à s’habiller et se protéger de la situation dramatique, ma présence semblait l’avoir rendu fou de rage et tandis que la prostituée tentait de le résonner, il retourna contre elle son courroux :

-C’est qui ce type ? Tu le connais ? C’est un de tes clients ? Qu’est-ce qu’il fiche ici ? C’est encore un enfoiré de journaliste venu m’espionner ?

-Mais non, j’ignore totalement qui il est, je ne sais pas d’où il sort et comment il est entré ici, mais il a raison sur un point, ce n’est pas le moment de se poser des questions, fichons le camp d’ici, c’est de plus en plus dangereux.

Mais les paroles de la femme n’eurent d’autres effets que de décupler la colère de Monsieur Montauban qui semblait se conjuguer avec celle du vent.

Il s’ensuivit une scène de lutte et tout fut très rapide : L’homme se précipita sur moi, j’examinai sa carrure grasse et dénudée, il faisait bien une tête de plus que moi. Il me saisit par le cou et resserra ses mains sur ma gorge comme un étau, je le repoussai d’un coup de pied. Mais sa rage lui donna une vigueur qui semblait décupler ses forces et il se jeta de nouveau sur moi. De son côté, la femme qui après avoir tenté de ramener à la raison son amant resté sourd à ses supplications, avait pris le parti de me défendre. Elle se précipita à son tour sur lui et lui mordit le bras. Il lui envoya un coup de poing dans le visage et je vis un filet de sang s’écouler d’une narine de la prostituée. Puis il se retourna de nouveau sur moi les yeux remplis de haine. Un violent coup sonna sur son crâne et il glissa lentement sur le sol le regard fixe et le visage blême. La prostituée était plantée là, elle aussi nue comme un ver et comme suspendue par le temps et par son geste. L’intervention insensée qu’elle venait de commettre, une lampe de chevet à la main dont elle s’était saisie pour me sauver de la fureur incontrôlable de Monsieur Montauban, semblait l’avoir foudroyée elle-même sur place. Je me baissai et tâtai le pouls de l’homme inerte pour constater avec effroi que celui-ci ne battait plus. La tempête qui avait investi la chambre et qui se faisait de plus en plus menaçante, ne nous laissa guère le temps de réaliser l’horreur de ce qui venait de se produire. Des projectiles volaient dans tous les recoins de la chambre, menaçant à tout instant de nous mettre dans le même état que Monsieur Montauban. Ce cadavre gisant à mes pieds, mêlée à la violence des éléments qui se déchainant autour de nous, donnaient à cette situation insolite une saveur apocalyptique qui me terrorisait :

-Mais qu’avez-vous fait malheureuse ? Dis-je, en pointant mon regard exorbité sur la prostituée.

-Comment ça ?...Je vous ai sauvé la vie, il allait vous tuer.

-Me tuer? Mais vous n’auriez pas du intervenir, maintenant c’est lui qui est mort.

-Mais j’ai juste cherché à l’assommer, mon acte n’était pas prémédité.

-Prémédité ou non, je vous dis qu’il est raide mort et nous sommes dans de beaux draps maintenant.

-C’est de la légitime défense, cet ordure aurait pu être très violent avec vous et il s’en serait ensuite pris à moi. Vous devriez plutôt me remercier, je nous ai sauvé la vie.

- Sauvé la vie ? Cet homme une ordure ? Est-ce là toute la considération que vous avez pour votre client ? Je ne suis pas non plus une victime innocente, la réaction de cet homme était légitime, après tout il m’a surpris en train de vous espionner dans votre intimité, c’est moi qui aie commis une erreur et maintenant me voilà impliqué dans une salle histoire ! Nous allons devoir nous livrer à la police.

-Arrêtez de culpabiliser Monsieur Rozier, je vous assure que cet homme a eu ce qu’il méritait. Mon acte n’était pas intentionnel, je ne voulais pas le tuer, mais c’était vous ou lui et il fallait que j’intervienne pour vous protéger.

-Comment ça ?... Comment connaissez-vous mon nom ?

-Je vous expliquerai plus tard, pour l’instant il faut penser à nous abriter. Mais avant cela, j’ai une idée : vous ne voulez pas être impliqué dans ce meurtre et moi non plus. Alors aidez-moi à transformer cette scène en accident.

-Vous n’y pensez pas !

-Vous n’avez pas le choix, vous savez très bien que votre présence ici complique considérable votre rôle dans cette affaire, de plus je sais beaucoup de choses sur vous. Je vous assure que vous avez tout intérêt à m’écouter et coopérer c’est également ce que vous conseillerait votre cliente, Madame Montauban, elle me connait très bien, nous sommes complices toutes les deux.

J’étais abasourdi par ce que je venais d’entendre, cette femme ne plaisantait pas et je lus dans son regard toute la persuasion et la détermination dont elle ferait preuve si je ne coopérais pas. Désorienté, comme si le vent lui-même m’avait déboussolé, je me rangeai à sa décision.

-Que suggérez-vous de faire dans ce cas ?

-Le vent est notre allié, nous allons jeter le corps dans le jardin. Nous ferons croire que pris de panique par ce cataclysme, Monsieur Montauban a tenté de se sauver à l’extérieur et il n’aura pu échapper à la tornade, il aura donc été tué par un projectile qui lui aura fendu le crâne. Personne n’aura de mal à croire à cette version, d’autant plus que cette tornade fonce droit sur la maison.

La prostituée avait raison, c’était bien un vent tourbillonnant qui se profilait à quelques mètres de nous, menaçant d’avaler dans son effroyable entonnoir toute la maison. Je m’exécutai, nous transportâmes avec peine le corps jusqu’à la fenêtre en luttant contre le vent qui nous repoussait par rafales au fond de la chambre. Puis nous jetâmes le cadavre par la fenêtre qui s’envola comme un pantin de bois désarticulé. Sans même prendre le temps et le risque de voir ce qu’il en adviendrait, la femme me saisit par le bras et m’entraina hors de la chambre vers les escaliers. :

-Venez avec moi, nous allons nous mettre à l’abri dans la cave à vin sous la maison, il y a une trappe depuis le garage qui y conduit.

Quelques minutes plus tard, nous trouvâmes refuge dans la cave à vin de la maison. Je ne saurais dire combien de temps nous étions restés là pétrifiés dans l’angoissante attente de notre devenir. Mais lorsque la tempête s’apaisa enfin, je réalisai que je venais de vivre les heures les plus terrifiantes de ma vie. Cette scène de meurtre à laquelle j’avais assistée au milieu de cette tempête, m’imprégnait d’une culpabilité dont je conserverais l’amertume toute ma vie. D’autant plus que je fus stupéfait lorsque quelques heures plus tard, la prostituée me révéla sa véritable identité: elle était en réalité la sœur de Madame Montauban, toutes deux se connaissaient très bien et étaient complices de cette histoire: afin de se venger de son mari qu’elle haïssait pour ses inconduites conjugales chroniques qui perduraient depuis des années, elle avait monté un plan machiavélique avec sa sœur, et moi, pauvre naïf, je n’étais qu’un pion dont elle s’était servie pour réunir les fameuses pièces officielles à son dossier de divorce. Bien entendu, son mari ignorait l’existence de cette sœur complice, il pensait réellement passer des heures de jouissance dans les bras experts d’une prostituée qui avait su totalement séduire la faiblesse charnelle de cet homme. J’étais entré en jeu pour apporter toutes les pièces à conviction et les photos que je devais prendre lors de cette dernière filature, les fameuses pièces qui devaient permettre à Madame Montauban de faire ensuite chanter son mari en menaçant de divulguer les odieuses photos à la presse, l’opinion publique et que sais-je encore. En effet, la jalousie et la haine qu’elle portait pour son mari l’avaient rendues si vindicative, qu’elles l’avaient conduite jusqu’à planifier une aventure entre son conjoint et sa propre sœur, je réalisais avec horreur toute l’étendue qu’un désir de vengeance pouvait engendrer, il n’y avait plus aucune limite, la morale de cette femme était aussi corrompue que celle de son mari. Cela aurait pu se dérouler aussi simplement qu’elle l’avait prévu, et pour ma part mon intervention se serait arrêtée là sans que je ne susse jamais le véritable lien entre ces deux femmes. Oui mais voilà qu’un acteur imprévu s’était introduit dans la partie et avait compromis considérablement cette affaire: le vent. S’il ne s’était invité ainsi dans cette intrigue, s’il n’avait pas révélé ma présence, si Monsieur Montauban ne m’avait pas découvert et n’était rentré dans une colère incontrôlable, il serait sans doute toujours en vie et n’aurait pas fait de moi le complice de son meurtre, je n’aurais alors rien su de toute cette machination… En tous cas, nous étions maintenant tous trois impliqués dans cette sombre affaire et c’est lâchement que j’acceptai de faire acheter mon silence par la très large et généreuse rétribution de Madame Montauban.

 

Quelques jours plus tard, je retrouvai cette dernière à mon bureau. Son visage était devenu soudainement outrecuidant, royal et habité par une certitude que l’on pouvait dire obscène. Après ce qu’elle avait manigancé et ce qui était arrivé à son mari, elle aurait pourtant du éprouver du remord car la situation avait pris une tournure dramatique qu’elle n’avait pas prévue elle-même. Mais sa réaction était contraire à la mienne : je me sentais, honteux, coupable et misérable de m’être retrouvé mêlé à une si sombre histoire, alors qu’elle semblait en tirer une certaine victoire. De l’épouse offensée par les pratiques adultérines de son mari, elle était devenue une veuve richement dotée qui raflait finalement la totalité des biens du régime de la communauté avec en prime une pension de réversion plus généreuse que ne l’aurait été sa pension de divorcée, de quoi enlever tout sentiment de culpabilité à cette ex épouse brimée, que le désir de vengeance avait rendue avide de cupidité. J’avais donc accepté le chèque conséquent de Madame  Montauban non pas uniquement en échange de mon silence, mais parce que cette cuisante défaite signait pour moi la fin d’une carrière qui m’avait possédé. Je su interpréter ce coup du destin comme un avertissement, la providence m’avait finalement épargné et j’avais le sentiment qu’il serait bien imprudent de ne pas écouter ce qu’elle chuchotait à ma conscience : c’était le signe qu’il me fallait passer à autre chose et j’acceptai cet argent comme le passeport garant d’une nouvelle vie.

 

Depuis j’ai changé de métier, j’ai quitté la ville pour m’établir à la campagne et tant qu’à faire, j’ai mis fin à mon célibat, je me suis marié. La mort de Monsieur Montauban a été ce point final de mon ancienne vie que j’avais peut-être cherché inconsciemment pendant tant d’années. Maintenant avec ma femme Muriel, nous avons fait l’acquisition d’une belle bâtisse en Indre et Loire, nous en avons fait une maison d’hôtes. La pêche à la truite, les longues balades en forêt, la découverte de cette belle région bucolique chargée d’histoire et de culture, et pour finir l’écriture, rythment le temps libre de cette nouvelle et douce existence où règne la plénitude. Il me semble loin à présent ce temps où je jouais les détectives privés dans une civilisation dépravée, baignée de stress et de corruption. Ma femme ignore ma vie professionnelle passée, je lui ai fait promettre de ne jamais chercher à savoir ce que j’étais autrefois, elle sait simplement que j’en garde une blessure profonde qu’il m’est difficile de révéler. Notre amour s’est construit sur ce pacte ainsi scellé et j’ai placé en elle toute la confiance et la sincérité qui ont fait défaut à tous ces couples dont j’ai assisté à la destruction pendant tant d’années. Je ne suis pas un homme parfait, mais je suis entièrement fidèle et dévoué à ma femme ; je ne connais que trop bien les désastres de l’infidélité.

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Cependant j’ai trouvé dans l’écriture un exutoire à ma vie passée, j’ai redonné vie à mes vieux souvenirs de détective dans des histoires que j’écris, je vais d’ailleurs éditer mon premier roman à la saison prochaine.

Ma vie est donc devenue en apparence, heureuse et sereine.

Mais parfois, au beau milieu la nuit, ma vieille blessure se réveille à la vue d’un fantôme qui vient hanter mes rêves : je revois alors le corps de Monsieur Montauban, quelques heures après que la tempête fut passée et que cet enfer prit fin, la fausse prostituée et moi-même étions sortis de la cave à vin où nous étions restés cachés. Nous avions découvert la puissance dévastatrice de la nature, les environs étaient plongés dans un chaos absolu, rien n’était plus comme avant. A quelques mètres de là, parmi les arbres et les débris arrachés, gisait le corps nu et ensanglanté de Monsieur Montauban. Le crime était parfait : il avait été emporté par la tornade et nul médecin légiste ne pourrait contester ce fait : seul le vent demeurerait à jamais coupable de son meurtre.

FIN

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